COMITE DE SOUTIEN DES NEXANS

ARTICLE SUR LE NET "MARIANNE 2"

LE 01/01/2010  1H DU MATIN

Je devai mettre cet article en ligne .

Merci a NATACHA  ..

La France en crise, modèle réduit: bienvenue à Chauny (3/3)

Gérald Andrieu - Marianne | Mercredi 2 Décembre 2009 à 07:01 | Lu 7649 fois

Activité économique en déconfiture, tensions raciales, Front national en embuscade, autorités locales se renvoyant la balle: bienvenue à Chauny, bienvenue dans une France en crise en modèle réduit, la France de Sarkozy…



(photos: G.A.)
(photos: G.A.)
Devant les grilles de Nexans, les palettes en bois partent en fumée. À la lueur du brasier, un ouvrier s'échine à arracher une à une les banderoles accrochées de part et d'autre de l'entrée. Pas rassasié, il file à l'intérieur chercher un carton rempli de centaines de petits papiers sur lesquels il est écrit en lettres capitales : « REFUSÉ », « RÉAFFECTATION », « A NETTOYER ». Il les saisit par poignées entières et les jette en l'air. La chaleur des flammes les fait monter dans le ciel. Mais invariablement, ils finissent par retomber au sol. Le carrefour devant l'usine en est jonché.
« C'est rien, glisse un collègue, il est juste en colère. » Une colère compréhensible. Depuis plus de deux mois, l'usine Nexans de Chauny est à l'arrêt et, avec elle, les 220 employés du site. L'annonce est tombée, sans prévenir, le 17 septembre dernier en fin de matinée : Nexans France veut licencier 387 personnes sur l'ensemble du groupe et fermer l'usine picarde. « La seule explication qui nous a été donnée, explique Christophe Stevens, délégué CGT, c'est que nous étions en surcapacité ». « On produisait trop et trop bien », traduit un ouvrier.

Depuis des lustres aussi. Nexans, ici, c'est plus qu'une usine, c'est une institution. Depuis 1922, de génération en génération, alors que l'entreprise changeait de nom au gré des propriétaires (Thomson, Alcatel puis Nexans...), les habitants de Chauny et des environs se sont succédés derrière ses machines. Et ils sont fiers du travail accompli : des kilomètres et des kilomètres de câbles en cuivre, notamment pour l'industrie automobile et aéronautique, sont nés à Chauny. Des fils « aussi fins que des cheveux » se plaisent à répéter les ouvriers.
Une fierté à la hauteur du choc ressenti à l'annonce de la fermeture de l'usine. Ils n'ont rien vu venir et ont du mal, encore aujourd'hui, à accepter la décision de la direction du groupe : « Si encore, c'était une boîte qui allait mal, on l'admettrait. Mais là… », confie Sébastien Dahler, entré chez Nexans il y a onze ans comme tréfileur. « Là, c'est dégueulasse, honteux et révoltant. Ils se foutent de l'humain », poursuit son épouse Carole, bibliothécaire à l'optimisme indéfectible et qui est de ceux qui animent le Comité de soutien aux Nexans.
S'ils n'ont rien vu venir, c'est en partie parce que le site picard jouit d'une certaine réputation : la « coulée continue » de Chauny (l'unité de production où le cuivre est fondu, ndlr) est considérée comme la première d'Europe et la deuxième du monde. Mais c'est aussi parce que la direction a continué à faire des investissements sur le site : en attestent les fosses aménagées, il y a peu, pour accueillir de nouvelles machines.

«Il faudrait qu'on fasse comme si on vivait au pays d'Amélie Poulain?»

La France en crise, modèle réduit: bienvenue à Chauny (3/3)
Elles ne viendront pas. En revanche l'amertume, elle, est bien là. L'amertume de ceux qui ont l'impression de s'être fait avoir. C'est le sentiment de Christophe Stevens et de bon nombre d'ouvriers. D'après le représentant CGT, Nexans aurait « sciemment » mis en péril le site : « Notre activité a chuté quand ils nous ont interdit de travailler avec des clients extérieurs au groupe… »
Ce dont il est sûr en revanche, c'est que le site de 12 hectares ne trouvera pas repreneur. Aujourd'hui, pour lui, le combat est ailleurs : à commencer par la négociation d'une « supra-légale » à la hauteur des attentes des ouvriers. Les Nexans demandent en effet 120 000 euros d'indemnités de préjudice. « Excessif ? Non, ce n'est pas excessif, affirme Carole Dahler, Ce qui est excessif, c'est de licencier 220 employés du jour au lendemain. Il faudrait qu'on ne dise rien ? Il faudrait qu'on fasse comme si l'on vivait au pays d'Amélie Poulain, le pays où tout va bien ? Et qu'on dise au revoir à notre industrie ? Qu'on se mette à faire dans le tourisme ? Qu'on fasse visiter nos usines comme d'autres font aujourd'hui visiter les mines ? »

Chauny est loin d'être le « pays d'Amélie Poulain ». La compagne d'un des employés de Nexans s'est suicidée peu de temps après l'annonce de la fermeture. « Ce n'est pas l'élément déclencheur, mais ça y a contribué », confient les gens sur place. Et l'avenir pourrait très bien n'avoir vraiment rien à voir avec un film de Jean-Pierre Jeunet : les Nexans de Chauny ont en leur possession un véritable trésor de guerre qu'ils comptent bien mettre dans la balance des négociations. Des tonnes de fils de cuivre consciencieusement entreposés sur le site, mais aussi des machines. L'usine est couverte de graffitis : des « euros ou ça brûle » ! Une énorme bombe a même été dessinée sur le bâtiment qui fait face à l'entrée. Christophe Stevens le reconnaît d'ailleurs sans détour : jusqu'à présent, il n'y a pas eu de « débordements », mais d'ici quelques jours, quand les gars ne toucheront plus leur paye…

«On sait bien qu'il existe un noyau d'employés que l'on n'arrivera pas à reclasser»

La France en crise, modèle réduit: bienvenue à Chauny (3/3)
Viendra ensuite le temps du reclassement : « Pour ceux qui étaient fondeurs ou tréfileurs, il n'y a pas de perspectives de retrouver un poste identique, affirme le responsable CGT, Beaucoup veulent se lancer comme artisans dans la plomberie, le chauffage ou l'électricité. Je leur souhaite de réussir, mais ce sont des secteurs bouchés. On va les mettre où ces gens-là ? C'est comme envoyer quelqu'un en formation à 50 ans, c'est compliqué. On sait bien qu'il existe un noyau d'employés de Nexans que l'on n'arrivera pas à reclasser. » Mais il n'y a pas que les 220 employés du site. Il faut aussi avoir à l'esprit les emplois induits, soit près de 80 personnes. « Pour eux, c'est encore plus dramatique, constate Christophe Stevens, ils n'ont même pas droit à la protection qu'offre un Plan de sauvegarde de l'emploi », l'expression un brin orwélienne pour désigner les nouveaux plans sociaux.

Les conséquences de la fermeture de Nexans sur l'économie locale sont difficiles à appréhender. Mais elles ne doivent pas être sous-estimées. Loin de là. Pour se faire une idée (même faussée), quand il existait encore une taxe professionnelle (sic), celle que versait Nexans s'élevait à 2,2 millions d'euros, soit un tiers de la somme collectée auprès des entreprises chaunoises et près de 20% de la somme totale dont pouvait jouir la communauté de communes à laquelle appartient la ville.

La France en crise, modèle réduit: bienvenue à Chauny (3/3)
Quoi qu'il en soit, cette fermeture intervient alors que le tissu économique et social ne se porte pas au mieux. Chauny n'est pas spécialement pauvre, ni même spécialement riche. C'est une commune dans la moyenne nationale : même si 150 d'entre eux payent l'ISF (ce qui est élevé au prorata de sa population), la moitié des ménages ne sont pas imposables. Mais avec la crise, les commerçants « tirent la langue »« Moins 20% » annoncent certains restaurateurs. Les ventes immobilières connaissent quelques frémissements mais « avec des prix réévalués à la baisse », confie un agent du secteur. EDF et France Télécom se sont fait la malle. Beaucoup craignent pour l'avenir de Rohm and Hass, l'autre grosse usine chaunoise. Et les services publics peu à peu désertent les lieux : la DDE qui disposait d'un entrepôt et de bureaux est partie, le tribunal d'instance fait ses cartons, et régulièrement le déplacement de son hôpital — le plus gros employeur de la commune — est évoqué.

Avec une économie en berne, une extrême droite aux aguets et une recrudescence des tensions entre communautés, Chauny ressemble trait pour trait à beaucoup d'autres communes françaises. Chauny, ce n'est pas, c'est certain, le « pays d'Amélie Poulain ». Mais ce n'est pas non plus une commune pire que les autres. Elle est tout simplement le reflet d'une France en crise en cette fin d'année 2009.


01/01/2010
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